LYNYRD SKYNRD AU PALAIS DES SPORTS (PARIS)
LE 25 AVRIL 2015

Il faut bien avouer que j’avais certains doutes, leur dernière prestation au Zénith en juin 2009 m’ayant laissé une mauvaise impression. L’impression que les musiciens de Lynyrd Skynyrd expédiaient leur concert de façon machinale, comme on pointe à l’usine. Gary Rossington avait l’air de marcher au radar, le ventre de Johnny Van Zant avait doublé de volume, Peter Keys peinait à combler le vide récent laissé par Billy Powell et les autres se reposaient surtout sur Rickey Medlocke pour faire le show. Désolé pour les fans purs et durs mais pour moi, ça sentait la fin. Alors, avec presque six ans de plus au compteur et un dernier album très moyen, il était normal que ce groupe (bien que légendaire) me refilât quelques appréhensions. J’avais tort !

Il est 20h30 quand je me pointe devant l’entrée du Palais des Sports. C’est un peu tard mais je viens de me taper près de trois cents bornes en bagnole. Eh oui ! Je n’habite plus l’Ile de France depuis bientôt un an et je fais maintenant partie des mecs qui sont obligés de se déplacer pour voir leurs idoles. Quand j’étais parisien, puis banlieusard, j’étais conscient de la chance d’avoir des salles de spectacle tout à côté de chez moi et les gars qui avalaient des centaines de kilomètres pour assister à un concert forçaient mon admiration. Maintenant, je fais partie du lot.

La musique qui s’échappe de la salle m’informe que la première partie a commencé. Je suis surpris de l’organisation de la sécurité. Personne ne me fouille et c’est une ouvreuse qui m’emmène vers la fosse à la lueur d’une lampe de poche. D’emblée, je constate deux choses : la salle bien remplie et le son relativement fort avec (encore !) les basses poussées à fond, ce qui n’est pas le meilleur réglage pour apprécier du « Southern Rock ». Sur la scène, un dénommé Jared James Nichols achève un morceau en laminant sa Gibson. Il a l’air de savoir jouer. Il remercie le public et je comprends que c’est la fin de son set. Le groupe termine avec un « Mississippi Queen » de bonne facture. Apparemment, il s’agissait de blues rock classique, certes déjà entendu mais toujours mieux que la première partie insipide qu’on nous avait imposé au Zénith en 2009.

Les lumières se rallument et je vois avec plaisir qu’une bonne partie du noyau dur des fans français de rock sudiste a fait le déplacement. Toutes les régions de France sont représentées ; il est vrai qu’un concert de Lynyrd Skynyrd est toujours un événement. Je serre des mains, je salue des connaissances de loin. J’aperçois bon nombre de têtes connues, croisées au fil des ans et des concerts. Il y en a pour tous les goûts. Des chevelus, des barbus, des moustachus (dont je fais partie), des tatoués, des bikers et même quelques personnes d’apparence « normale ». Des vieux, des plus tout à fait jeunes, des pas encore tout à fait vieux. Je m’étonne de la présence de nombreux représentants de la classe biberon, à peine échappés du lycée. Beaucoup n’étaient sans doute pas nés quand un Lynyrd Skynyrd ressuscité investissait la scène de l’Elysée Montmartre en 1992. Cela prouve qu’il n’y a pas d’âge pour apprécier la bonne musique.

En jouant des coudes, j’arrive à atteindre le troisième rang tandis que le volume de la sono augmente avec AC/DC ; le show va bientôt commencer. Les lumières se tamisent, virent au bleu et une voix annonce Lynyrd Skynyrd. Et ça démarre avec « Workin’ for MCA ». D’entrée de jeu, je constate que les musicos ont la pêche et le sourire. L’Indien Rickey Medlocke est fidèle à lui-même, Johnny Van Zant semble avoir maigri et porte un drapeau français sur son gilet en cuir, Gary Rossington a l’air en forme. Le public est conquis et hurle son bonheur. Seul défaut majeur : la sonorisation et ses basses en avant, nuisant considérablement au son des guitares. Tant pis !

Le groupe enchaîne directement sur « I ain’t the one » devant une salle en délire. Ce soir, Lynyrd Skynyrd semble se la jouer classique ; cependant, le troisième morceau me met un doute. D’habitude, « Call me the breeze » figure plutôt en fin de set. Le groupe nous réserve -t-il une surprise ? Gary Rossington envoie un bon solo et Rickey Medlocke chante un couplet ou deux après avoir joué une partie de la rythmique avec les dents. Malgré ses soixante cinq ans, il reste un show-man incomparable.

Ensuite, nous avons droit à un « What’s your name » vitaminé et à un « That smell » traditionnel (Johnny fait chanter le public sur la phrase « There’s too much coke and too much smoke », Gary joue le solo du milieu et Rickey et Mark Matejka le solo à la tierce). Puis Johnny Van Zant nous exhorte à taper dans nos mains sur un roulement de batterie qui débouche sur « Saturday night special », un titre toujours efficace en concert. Si seulement les basses n’étaient pas si fortes !

En entendant les premières mesures de « The needle and the spoon », je me suis dit que l’on était parti pour un medley de vieux titres, certes sympathique mais qui laisse un goût de trop peu. Mais non ! Ils l’ont joué jusqu’au bout avec un bon solo de guitare wah wah exécuté par Mister Medlocke. Première surprise. La deuxième arrivera juste derrière.

Johnny Van Zant nous déclare qu’ils n’ont pas joué souvent le morceau suivant et il le dédie à toutes les filles de l’assistance. L’intro de « I need you » me refile des frissons. Rien que pour ça, je suis heureux de m’être déplacé. Fabuleux ! Rickey et Gary se chargent des solos à la tierce et la salle chante sur le refrain. Ensuite, Johnny rend hommage aux troupes américaines et françaises qui se battent pour la liberté et les choristes attaquent « Simple man ». Le refrain de ce titre magique est également repris en chœur par le public. C’est toujours un grand moment.

Et on continue dans le bon esprit avec « Mississippi kid », avec Sparky à la guitare acoustique, Rickey à la mandoline et Gary qui nous balance un superbe solo de slide sur une splendide guitare blanche. On a déjà vu ça sur DVD mais sur scène, je vous garantis que ça vaut le détour. En plus, Peter Keys nous gratifie d’un petit solo de piano.

Sur « Tuesday’s gone » (et son harmonica devenu traditionnel), la guitare de Gary Rossington nous transporte dans le passé. A un moment, un petit groupe de mecs fend la foule, emmené par un grand balaise tatoué de partout et qui porte un dossard Pantera sur sa jaquette en jean. Je constate qu’il s’agit d’un homme de goût car il arbore également un patch Waylon Jennings. Notre gaillard se téléporte au premier rang et lance un T Shirt aux pieds de Johnny Van Zant qui, après l’avoir regardé, le lui renvoie aussitôt. Le gaillard le lui relance à son tour, lui faisant comprendre par signes qu’il peut le garder. Johnny dépose le T Shirt en question près de la batterie de Michael Cartellone. Satisfaits, le mastard et ses potes repartent à l’arrière. Marrant ! Ça m’a rappelé la vieille époque. En plus, ce remue-ménage m’a permis d’accéder au deuxième rang.

Retour à un tempo plus soutenu avec un « Gimme three steps » qui fait mouche. On apprécie ce titre entraînant tout en sachant qu’on se rapproche de la fin du show.

Juste après, l’arrière-scène s’illumine sur un grand drapeau aux couleurs de l’Alabama. Rickey égrène quelques arpèges et l’intro mythique de « Sweet home » retentit dans le Palais des Sports, déchaînant une ovation générale. Un moment intense avec des solos comme s’il en pleuvait et Johnny qui fait chanter la salle sur le refrain. Une bousculade survient quand Rickey Medlocke balance son médiator dans la foule. Les lumières se rallument et les musiciens quittent la scène. Tout le monde gueule pour un rappel tout en sachant qu’ils vont revenir pour l’inévitable « Free bird ».

Peter Keys est le premier à revenir sur scène. Il pointe le doigt vers le ciel en mémoire de Billy Powell et se lance dans une improvisation de piano relativement bonne. Il enchaîne ensuite sur l’intro de « Free bird » soutenu par Mark Matejka à la guitare acoustique. Le morceau démarre, un aigle immense apparaît en arrière-plan et Johnny Van Zant lève son pied de micro en se tapant la poitrine du côté du cœur, nous incitant à manifester notre contentement. La salle hurle comme un seul homme ! La suite, on la connaît par cœur mais c’est tellement bon : le solo de slide de Gary sur sa vieille Gibson LesPaul-SG de 1961, l’accélération du tempo, le solo de Rickey puis l’arrivée de Mark Matejka en soutien, la boule à facette. Tout y passe. Seulement ce soir, les gars de Lynyrd Skynyrd ont vraiment l’air de s’éclater. Sur scène ou dans la salle, tout le monde affiche des sourires radieux, à part Gary Rossington qui aura affiché un masque impénétrable tout au long du concert. Mais ça, c’est sa marque de fabrique. Deux ou trois fois au cours du show, il pointera du doigt une personne dans l’assistance, ce qui est déjà un honneur incommensurable. D’ailleurs, même sur les anciennes photos, on ne l’a jamais beaucoup vu se fendre la poire.

Et puis l’orgie musicale prend fin. Johnny Van Zant déploie le drapeau français. Gary Rossington plaque un dernier accord et balance une poignée de médiators dans la foule, déclenchant une belle bousculade. Rickey Medlocke empoigne sa Gibson Explorer par le corps et la pointe sur les spectateurs du premier rang qui tentent de toucher cet instrument magique. Les musiciens saluent le public et quittent la scène, l’air heureux.

Les lumières sont à peine rallumées que le service d’ordre pousse les gens vers la sortie. Apparemment, il ne faut pas rester trop longtemps dans l’enceinte du Palais des Sports. J’aurais bien voulu saluer quelques vieilles connaissances aperçues de loin mais je les perds de vue dans la cohue. Dehors, une file d’attente commence à s’étirer devant le stand des T- Shirts. Ne reconnaissant personne aux alentours et pensant aux trois cent kilomètres que je dois me farcir, je décide de filer. J’enchaîne métro et RER et je récupère ma caisse qui m’attend sagement près de la gare de Gagny (non, je ne suis pas fou au point de me rendre à Paris en bagnole).

Sur le chemin du retour, fonçant dans la nuit noire sur une autoroute désertée, je me remémore les moments forts du show. Rickey et ses acrobaties guitaristiques qui ont fait sa réputation, Johnny déployant un drapeau français grand modèle et le nouant autour de son pied de micro, Gary exécutant son splendide solo de slide sur « Mississippi kid », Johnny Colt changeant plusieurs fois de chapeau au cours du spectacle (galure orné d’une plume, bonnet de trappeur, coiffe indienne en rat musqué, « gambler’s hat »), rendant ainsi hommage au regretté Leon Wilkeson. L’ambiance électrisante des soirées de grands concerts. Et puis « I need you », la surprise inattendue.

Je ne peux pas parler pour les autres spectateurs mais en ce qui me concerne, j’ai eu l’impression d’être transporté à Jacksonville ce soir.

Je sais que les gars de Lynyrd Skynyrd doivent achever leur tournée sur le vieux continent par quelques pays d’Europe de l’Est dans lesquels ils n’ont jamais mis les pieds. Qu’ils envoient un show comme celui-ci et les fans de là-bas risquent de ne pas s’en remettre.

Maintenant, je me doute que certains ne partageront pas mon avis et qu’ils avanceront, avec raison, des arguments nettement moins enthousiastes.

Oui, Lynyrd Skynyrd ne joue plus de nouveaux morceaux en concert et se contente de plonger dans le vieux répertoire.

Oui, leurs deux derniers albums sont très moyens.

Oui, le Skynyrd actuel a tendance à devenir un tribute band dédié à l’ancien Lynyrd.

Oui, ils n’ont pas tant de mérite de nous avoir fait une surprise avec « I need you » car ils ont répété les deux premiers albums afin de les jouer les 2 et 3 avril au Florida Theater de Jacksonville.

Oui, ils se la jouent tranquille en vivant sur leur passé.

Oui, ils visent la monnaie sans prendre de risques.

Cependant, face à tous ces arguments valables, j’objecterai ceci : Et alors ? En toute honnêteté, qui pourrait le leur reprocher ? De plus, qu’avons-nous à faire de tout ça quand tout ce qui nous intéresse c’est d’assister à un bon concert ?

D’accord, en 2009, la déception était au rendez-vous. Mais là, ils ont largement rattrapé le coup. Je les ai même trouvés en meilleure forme qu’il y a six ans avec, en plus, le sourire et le plaisir de jouer.

Pour ma part, plutôt que de voir sur scène des mecs vieillissants, balançant sans passion des titres nouveaux mais poussifs, je préfère mille fois assister à un show de qualité, orienté sur l’héritage et la mémoire.

Ce soir, à quelques mètres de moi, j’ai vu des musiciens de légende jouer des morceaux d’anthologie. J’ai vu un des derniers pionniers encore en vie (Gary Rossington), un des derniers grands chanteurs de Southern Rock (Johnny Van Zant) et un des derniers grands rockers sudistes (Rickey Medlocke). Tout cela me suffit largement.

J’étais venu pour assister à un concert de « Southern Rock ». Je n’ai pas été déçu.

Et je pense ne pas être le seul dans ce cas là.

Alors, c’est tout ce qui compte !

Olivier Aubry

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